Abandon des moyens en psychiatrie : faut-il attendre un drame à Dijon ?

Depuis une dizaine de jour, nombre d’évènements graves se sont déroulés à la Chartreuse. Les conséquences de ces évènements peuvent ou auraient pu être dramatiques.

Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs, ont tour à tour, par leurs politiques d’austérité budgétaire, diminués les moyens alloués au Centre Hospitalier de la Chartreuse.

Aujourd’hui, la situation est explosive, et l’hôpital ne tient plus que par le courage remarquable des personnels de la Chartreuse, épuisés et en grande souffrance. Pour rappels, ils avaient déjà été en grève durant plus de 130 jours en 2019, et avaient obtenus la non-fermeture d’un service.

A l’initiative de la CGT, les trois syndicats de la Chartreuse ( CGT, CFDT, SUD SANTE) ont donc décidés d’écrire une lettre ouverte à la ministre de la Santé, Agnès BUZYN, aux députés de la Côte d’Or, au préfet de la Côte d’Or, au président de Dijon Métropole, et à l’Agence Régionale de Santé de Bourgogne Franche Comté, afin de les alerter de nouveaux quant à cette situation qui pourrait réellement déboucher sur un drame. 

Lettre ouverte de l’intersyndicale au ministre

Les syndicats CGT, CFDT, SUD SANTE du CH La Chartreuse , 1 BD Chanoine KIR, 21000 DIJON Tel CGT:06 26 31 44 78 /Tel CFDT : 03 80 42 49 43 / Tel Sud Santé : 03 80 42 48 92 Lettre ouverte à :

Madame La Ministre de la Santé, Aux Députés de la Côte d’Or, À Monsieur le Préfet de la Côte d’Or, A Monsieur le Directeur de l’Agence Régionale de Santé de Bourgogne Franche Comté, A Monsieur le Président de Dijon Métropole A Monsieur le Directeur de l’ARS BFC

Dijon, le 16 Juillet 2019

Mesdames, Messieurs,

Nous voulons dénoncer l’abandon total des moyens en psychiatrie. Il est urgent que le gouvernement prenne les responsabilités qui lui incombent : L’arrêt de toutes les restructurations, fermetures de lits et structures. Le renforcement des moyens humains.

Depuis une dizaine de jours, le CH de la Chartreuse fait la une des faits divers dans la presse locale.

  • le 6 juillet 2019, un patient hospitalisé sous contrainte ayant consommé de l’alcool menace l’infirmier de nuit (deux personnes soignantes par service la nuit) avec un tesson de bouteille. Après un appel aux renforts infirmiers de la Chartreuse, la police est intervenue grâce à l’appel de la cadre de santé (faisant fonction) de nuit pour maitriser le patient. Un taser a été utilisé pour éviter le pire à l’infirmier.

Causalité: l’interdiction de contrôler ce que détiennent les patients.

  • Les 6 et 7 juillet 2019, alors que toutes les chambres sécurisées sont toutes occupées, un détenu est accueilli dans un service ouvert, dans une chambre non sécurisée, obligeant le service à se transformer en service fermé.

L’accueil des détenus fait l’objet d’une convention entre le CHU, le SMPR (Service médico-psychologique régional) de la maison d’arrêt de Dijon, et le CH de la Chartreuse. Le CH la Chartreuse doit en effet accueillir ces détenus dans des conditions de sécurité définies (chambre sécurisée et en unité fermée). Ces détenus ne sont accueillis à la Chartreuse que parce qu’il n’y a plus de place en UHSA).

Causalité : plus de chambres sécurisées dans l’hôpital, celles-ci étant toutes occupées ce jour-là.

-le 07 juillet 2019, 2 tentatives de pendaison dans les services de la Chartreuse.

Problème : impossibilité d’exercer une surveillance requise des patients consécutive à une sur occupation des lits et l’augmentation de la charge de travail qui en découle.

Manque d’effectifs soignants pour assurer une bonne prise en charge des patients.

-le 10 juillet 2019, un patient met le feu à son matelas dans une chambre double, à l’aide d’un briquet. Après l’avoir isolé dans une pièce, il essaie de se réfugier dans le faux plafond avant d’en tomber L’équipe soignante n’a pas réussi à éteindre l’incendie a du évacuer l’ensemble des patients du service, (ainsi que les patients détenus) et une intervention des pompiers a été nécessaire. Des dégâts matériels estimés à 10 000 euros sont à déplorer.

Causalité : l’absence de formations et d’exercices d’évacuation incendie, depuis plusieurs années au sein de l’établissement, contrairement à ce qu’exige le code du Travail.

  • le 12 juillet 2019, fugue d’un patient hospitalisé à la demande du représentant de l’Etat, par une fenêtre mal fermée du réfectoire. Il est à ce jour toujours en fuite.

Causalité: matériel non sécurisé, manque d’effectif suffisant pour pouvoir assurer une bonne surveillance et la sécurité des patients. Manque de vigilance du à un épuisement professionnel des équipes.

  • le 13 juillet 2019, un patient s’agite et blesse un infirmier.
  • Le 14 juillet 2019, c’est une infirmière qui se fait agresser.
  • Dans la nuit du 14 au 15 juillet 2019, un patient démonte une fenêtre à l’aide d’une cuillère et est retrouvé dans une cour fermée d’un service voisin.

Le 15 juillet 2019, un patient en soins sous contrainte (péril imminent) dégonde une fenêtre et s’enfuit de l’hôpital.

Ces évènements, bien que faisant partie de la vie d’un hôpital psychiatrique sont aujourd’hui devenus quotidiens. Les pathologies se sont complexifiées, apportant leur lot de violence, à l’image de la société.

Pour rappel, le CH de la Chartreuse est soumis à un contrat  » de performance » depuis 2016. Cela a entrainé les fermetures de 3 services, la diminution des moyens alloués aux CMP, CATTP, malgré l’annonce d’un virage ambulatoire.

Des diminutions importantes d’effectifs, des augmentations du nombre de lits dans les services restants (passés de 21 lits à 27 par service). Ces lits sont d’ailleurs des lits de camp, et sont installés dans des vestiaires du personnel, des salles de visites, des bureaux médicaux. Les conditions d’accueil et de sécurité connaissent une dégradation devenue inacceptable.

L’hôpital a des difficultés à recruter, que ce soit des personnels médicaux et non médicaux (par manque d’attractivité de ces métiers et de la spécificité psychiatrique). Les patients sont les premiers à en pâtir, et cela s’aggrave de jour en jour.

Le CH de La Chartreuse n’arrive plus à accueillir tous les patients, dans des conditions acceptables et à trouver des solutions d’orientation pour des patients au long cours ne relevant plus du soin psychiatrique, mais du médico-social, lui même bien sinistré.

Avec tous les efforts remarquables des personnels du Centre Hospitalier de la Chartreuse, qui ont toujours effectué leur travail avec professionnalisme, ils sont épuisés, en souffrance et n’ont plus confiance dans l’institution. Ils sont contraints d’agir en permanence contre leurs valeurs éthiques. La politique de santé donne des orientations qui tendent à uniformiser les pratiques selon les modalités quasi industrielles. Cette rigidification et la protocolisation à outrance ne répondent pas à la diversité des problématiques auxquelles nous sommes confrontés.

Au quotidien, ils sont confrontés à des patients sous l’emprise de produits illicites ou licites, rendant les traitements inefficaces et favorisant la violence. Ils sont également confrontés à des patients violents, parfois munis d’armes, ce qui les expose à des situations de violence extrême. Ils sont impuissants à assurer leur sécurité et celle des patients du fait de contraintes légales (interdiction de contrôler les biens détenus par les patients).

Les agents ont pourtant été en grève pendant plus de 130 jours en 2018, alertant sur une situation qui se dégradait. Cette grève a permis d’éviter la fermeture d’un quatrième service. Aujourd’hui, nous en sommes arrivés à une situation dramatique. Le nouveau directeur, arrivé le 23 avril 2019 devra assumer les conséquences de plusieurs années de mauvaises décisions et de dysfonctionnements dans la gestion de l’établissement, et des contraintes budgétaires plus fortes chaque année.

La Ministre de la Santé poursuit le projet de disparition de la psychiatrie en la noyant dans les hôpitaux généraux. Pour la Ministre, l’hôpital ne dispenserait pas de soins somatiques et aurait un fonctionnement autarcique, imperméable à toute évolution. Quel mépris de notre travail !

Partout les conditions d’hospitalisation se dégradent jusqu’à devenir inhumaines, laissant les familles en détresse seules face à la maladie de leur proche.

Pourtant l’organisation en secteurs de psychiatrie a fait preuve de sa modernité privilégiant la proximité des soins, accompagnement au plus près des lieux de vie et limitant les hospitalisations à temps complet.

Nous réaffirmons l’urgence de reconstruire une psychiatrie publique moderne, accessible et financée par la Sécurité sociale.

Le médico-social n’a pas pour vocation de se substituer au sanitaire, cette considération n’a de fondement que la finance et la politique.

Nous réaffirmons la nécessité de s’appuyer sur une équipe pluridisciplinaire en capacité d’apporter un cadre soignant, contenant et rassurant. Ce qui impose des moyens suffisants et aussi des formations spécifiques.

Aucun professionnel ne peut supporter seul les effets psychiques de la rencontre avec un patient atteint de troubles psychiatriques. Les politiques successives ont tenté d’enfermer la psychiatrie dans sa seule dimension sécuritaire en favorisant l’amalgame entre maladie mentale, délinquance et violence.

Il est impératif que la psychiatrie reste ouverte sur la société et de rappeler que les personnes atteintes de troubles psychiques sont statistiquement moins dangereux que la population générale et plus souvent victimes de violences.

La situation que vit l’hôpital de la Chartreuse aujourd’hui : des patients et des personnels en insécurité, une qualité des soins et d’hébergement qui se sont dégradés, un épuisement de l’ensemble des professionnels.

Faudra t-il qu’il arrive un drame dans cet hôpital pour que nous soyons enfin entendus ?

Syndicat CGT, Mme CHRETIEN
Syndicat CFDT, Mr MAITRE
Syndicat SUD SANTE, Mr BLAISE