Littérature. Après son dictionnaire futile et cependant indispensable de la langue française, le directeur du Clos-Vougeot Richard Fussner récidive en tant qu’auteur, avec un recueil de nouvelles plein d’esprit et de sensibilité : Miscellanées, publié le 3 octobre dernier aux éditions du Sékoya.
Sommelier et directeur du Château du Clos-Vougeot, Richard Fussner est aussi un grand écrivain. Lauréat du prestigieux Prix René de Obaldia en 2022 pour son premier ouvrage, Le Petit Fussner : Le dictionnaire futile et cependant indispensable de la langue française, et membre de l’Académie Alphonse Allais ; l’auteur a publié, le 3 octobre dernier aux éditions du Sékoya, Miscellanées, un recueil de nouvelles où traits d’esprit, mélancolie, observations et peintures de la société font un. Entretien avec un amoureux des mots et des lettres… Mais aussi de la ponctuation !
J’aime Dijon. Comment est né cet amour pour la littérature et l’écriture ?
Richard Fussner. C’est un amour et un plaisir d’enfance. J’ai toujours eu le goût des mots et de l’écriture. Dans une autre vie, j’ai tenu une chronique hebdomadaire dans La Tribune de Genève. Il y a quelques années, j’ai saisi l’opportunité d’écrire mon premier ouvrage : Le Petit Fussner.
Votre qualité d’écrivain se détache-t-elle de votre fonction de directeur du Clos-Vougeot ?
Il y a un décalage entre le directeur et l’auteur. Mais depuis Le Petit Fussner et l’obtention du prestigieux Prix René de Obaldia, il n’y a plus d’effet de surprise. Dans mes écrits, je peux aborder des sujets sérieux, mais de façon beaucoup plus légère. Lorsque j’ai publié ce dictionnaire, on pensait que j’allais forcément traiter le vin, en lien avec le château et ce qu’il représente. J’ai eu une autre vie et eu l’opportunité d’écrire sur le vin de façon régulière. Le vin et l’écriture ont une notion commune : celle du partage ! Écrire c’est important, être lu l’est aussi !
Dans votre dernière ouvrage, Miscellanées, il y a beaucoup d’humour. La littérature est-elle un espace sanctuarisé ?
Vous avez tout à fait raison. Et en la matière, on ne parlera pas d’humour, mais plutôt d’esprit. C’est plus chic, plus élégant. La littérature est un domaine dans lequel on peut en user à l’envie et où il a tout à fait sa place.
Vous avez le sens de l’observation et vous vous mettez dans la peau du lecteur en décrivant des scènes de vie quotidienne : l’habitué du restaurant, le retraité qui bloque la queue aux heures de pointe…
Il y a le plaisir de croquer ses contemporains. Cela fait partie intégrante de la satisfaction d’écrire. Beaucoup de ces nouvelles reposent sur l’observation de mon entourage et de mon environnement. À partir de plusieurs observations, on peut les compiler pour les prêter à un seul et même personnage. L’idée, c’est que le lecteur se retrouve pour tout ou partie dans beaucoup de mes nouvelles.
Et le sens de l’analyse avec esprit et mélancolie !
Dans un climat plutôt anxiogène, l’idée de cet ouvrage est d’apporter aussi un peu de sourire, parfois de rire. C’est vrai qu’on entend toujours des éléments particulièrement négatifs. La nouvelle Je vais redoubler ma sixième vient dans sa critique en contrepoids de tout ce qui se dit actuellement par rapport à l’enseignement, qui serait en pleine déliquescence et à la dérive. Je pense qu’il y a toujours une éducation de qualité.
Vous critiquez notamment les mélomanes de gare…
Qui aura pris le train en France aura vécu ce que je raconte dans une nouvelle qui est plutôt critique par rapport à la SNCF.
Les Miscellanées abordent l’actualité, et dans une nouvelle, celle des footballeurs qui se voient demander de prendre des positions extra-sportives.
C’est le drame actuel. Des journalistes vont interroger les malheureux footballeurs sur l’existentialisme ou dieu… C’est à mille lieux de leurs préoccupations.
D’ailleurs, vos nouvelles peuvent se lire plusieurs fois, de façon fragmentée, et ont souvent plusieurs lectures.
J’apprécie que vous releviez ce point signalé par Xavier Jaillard dans sa préface. On peut avoir différents niveaux de lectures en lien avec différentes lectures. Chacun a une lecture personnelle et différente de mes écrits, et relève des sujets qui diffèrent de l’une à l’autre personne. Avec 72 nouvelles, je ratisse assez large en terme de satisfactions et d’intérêts du lecteur. Elles sont sans lien aucun entre elles ; sinon toutes de se décliner à la première personne quels que soient les sujets et les personnages.
Dans votre ouvrage, on ne sait d’ailleurs pas qui de l’écrivain ou du lecteur s’exprime.
Quand on écrit il y a toujours une petite partie autobiographique renforcée par l’utilisation de la première personne. Bien évidemment, je n’ai jamais eu de relation coupable avec une hérissonne sur une Harley-Davidson !
Quels sont les auteurs que vous affectionnez ?
En priorité, je serais tenté de vous dire Alphonse Allais. J’aime beaucoup l’esprit allaisien ; au-delà de l’humour et de l’absurde, il y a toujours une qualité d’écriture, ce qui est pour moi important. Mais je cite aussi une personne pour laquelle j’ai énormément de respect : Jean-Loup Dabadie. C’est l’écriture aboutie dans tous les domaines, les chansons, les scénarii, les dialogues, les sketchs, en maniant toutes sortes de sentiments. J’aime Michel Audiard qui est complètement à part. J’ai aussi une grande affection pour Émile Ajar. J’ai un immense respect pour l’homme et l’écrivain Romain Gary, mais j’ai un goût extrêmement prononcé pour tout ce qu’il a écrit sous le pseudonyme Émile Ajar. La qualité et la forme de son écriture m’impressionnent et me séduisent beaucoup.
Et Boris Vian ?
Oui pourquoi pas ! Boris Vian était un Jean-Loup Dabadie avant l’heure. Il était en plus musicien ! Il aurait fait une immense carrière s’il avait eu la chance de vivre plus longtemps. Dans mon poisson rouge (lire la nouvelle Médor, ndlr), il y a un peu de Colin et de Chloé. Une part de rêverie et de projection, toute proportion gardée, peuvent intervenir.
Quel est votre processus d’écriture ?
Ce que je fais souvent, c’est prendre des notes que je collectionne de façon pèle-mêle pour trouver de la matière au moment d’écrire. Dès qu’une idée nouvelle surgit, je la saisis et j’ai moins de mal pour la mise en forme. Lorsque je le peux, je prends du temps à l’écriture et à la relecture comme d’autres peuvent le consacrer à regarder un film au cinéma ou pêcher. J’écris souvent nuitamment ou dans mon bain comme Romain Gary.
Vous accordez beaucoup d’importance à la ponctuation.
J’utilise souvent le point virgule. C’est le parent pauvre de la ponctuation… Une même phrase peut avoir un effet ou un écho différent selon sa ponctuation. Celle-ci est aussi importante que les mots ! Dans mon écriture, j’emprunte souvent à l’oralité : la ponctuation est une respiration.
Vous prenez aussi une grande liberté visuelle avec l’écriture !
Personnellement, je ne m’en rendais pas compte. Xavier Jaillard, qui est un homme de lettre et de théâtre connu et reconnu, et pour qui la ponctuation est un élément très important dans la diction d’un comédien, a plus forte raison quand il s’agit de sujets qui se veulent humoristiques, relève une écriture personnelle et singulière. Cette écriture me permet de me différencier de ce qu’on peut lire habituellement.
Par ce goût de la ponctuation, mais aussi des mots, votre ouvrage est non seulement littéraire et créatif, il est aussi scientifique.
Le terme « miscellanées » parait savant en langue française. Il ne l’est pourtant pas en langue anglaise. Il s’agit d’un recueil dédié à la littérature ou aux sciences, composé généralement d’écrits très courts. Ce qui est le cas de mon ouvrage.
Pourquoi ce format court ?
J’y suis contraint dans la mesure de mes activités professionnelles. J’ai un métier particulièrement accaparant. La forme d’un dictionnaire paraissait bien venu pour Le Petit Fussner. J’avais pu l’écrire comme on peut le lire de façon fragmentée sans qu’il y ait un ordre déterminé à suivre obligatoirement. Aussi, beaucoup de personnes ne lisent plus. Il existera toujours des lecteurs de gros volumes, mais il est rare aujourd’hui que des personnes se plongent dans un ouvrage des heures durant. C’est un lectorat zappeur, pour qui cela doit bouger et changer. La forme courte, c’est l’une des raisons qui intéressent une partie de mes lecteurs.
Seriez-vous tenté par l’écrit long ?
Je pourrai me consacrer à une écriture plus dense et volumineuse quand j’aurai davantage de temps, et lorsque j’aurai pris du recul par rapport à mes activités professionnelles.
Informations pratiques
Miscellanées est disponible en librairie et peut être commandé en ligne sur le site de Richard Fussner (suivre le ligne).