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Dorine Bourneton : la vie comme une aventure sur un filet d’air

Dorine Bourneton est connue pour être la première femme paraplégique pilote de voltige au monde. Femme au parcours exceptionnel, devenue conférencière et écrivaine, son autobiographie, Au dessus des nuages… sortie en 2015 chez Robert Laffont, va être adaptée en téléfilm l’an prochain. Elle souhaite aujourd’hui créer une école de voltige et devenir instructeur.

C’est à l’occasion du salon du livre de Niort que nous avons rencontré celle qui a accepté de présider le jury des Écrans de l’Aventure 2019 à Dijon.

Bio expresse

  • naissance en 1974 à Thiers
  • fait son baptême de l’air avec son père, également pilote, à l’âge de 8 ans
  • premier vol en solo à l’âge de 15 ans
  • seule rescapée d’un crash d’avion le 12 mai 1991, où elle devient paraplégique
  • en 1999 elle reçoit la bourse de l’aventure de La Guilde
  • 2003 signature de l’arrêté ministériel autorisant les handicapés à devenir pilotes professionnels
  • la même année elle devient leader de la patrouille Bleu Ciel
  • elle reçoit la médaille de l’ordre national du Mérite en 2009
  • en 2013, Dorine Bourneton devient la marraine de la Fondation Antoine de Saint-Exupéry pour la jeunesse
  • en 2015 elle devient la première handicapée pilote de voltige au monde
  • elle est faite chevalier de la légion d’honneur la même année
  • en 2018 France 5 lui confie la présentation d’une série de documentaires d’aventure
  • 2019 elle préside le jury des Écrans de l’Aventure à Dijon

J’aime Dijon : Dorine, vous avez obtenu il y a maintenant 20 ans, en 1999, la bourse de l’aventure de la Guilde. Qu’avez-vous fait avec ?

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Dorine Bourneton : L’objectif de cette bourse était d’aller aux États-Unis rencontrer Mike Smith, un vétéran du Vietnam, handicapé, instructeur et pilote professionnel. À ce moment là, en 1999, je me battais déjà depuis 4 ans pour faire évoluer la réglementation française pour que nous puissions, nous aussi, devenir pilotes professionnels et que, comme aux États Unis, nous puissions vivre de ce métier de pilote. En l’occurrence pour moi, vivre de ma passion.

Je suis allée voler pendant un mois et demi avec Mike Smith, l’interviewer, l’observer et voir comment il avait résolu les problèmes parce que, imaginez, vous êtes instructeur handicapé, vous avez des commandes manuelles : comment vous faites pour voler en double commandes ? Et bien je ne pouvais pas répondre à ces questions là si je n’allais pas voir comment Mike faisait.

En rentrant en France j’ai pu répondre et argumenter mon dossier grâce à cette expérience.

Pour autant ça n’a pas été suffisant, il a fallut prouver plus encore. Ça a quand même été un élément probant dans le sens où dire, « voilà ça existe ailleurs alors pourquoi ça n’existerait pas en France ? C’est possible, ça se fait aux États-Unis ». Pour convaincre il a fallut déployer une énergie phénoménale.

L’arrêté ministériel autorisant les personnes handicapées à devenir pilotes professionnels et pilotes de voltige a été signé en 2003. Là où on a eu de la chance, c’est que Jacques Chirac avait décrété cette année comme année européenne du handicap. Donc il y avait une volonté politique de prendre en compte le handicap, de mieux l’intégrer dans notre société que ce soit tant au niveau de l’accessibilité qu’au niveau de l’emploi. Quand on dit qu’on a tous quelque chose de Jacques Chirac…

J’aime Dijon : Pour arriver à ce résultat vous avez aussi réalisé des vols illégaux de surveillance de feux de forêts… c’est Mike qui vous a incité à le faire ?

Dorine Bourneton : Oui car lui il en faisait. Il était pilote instructeur, il faisait des missions de surveillance de feux de forêts et donc nous, en revenant en France on s’est dit, on n’a pas le droit de le faire, parce qu’on nous interdit d’être pilote pro, mais on va le faire quand même. On va voler avec des pompiers, on va montrer que c’est possible, sauf qu’on sera bénévoles. Voilà. On ne sera pas rémunéré pour faire ça, mais on va démontrer au moins que c’est possible.

J’aime Dijon : Ça a vraiment pesé ?

Dorine Bourneton : Oui ça a pesé. Chaque chose a compté dans ce dossier. Les antécédents avec Mike Smith, le fait que l’on avait en 2002 créé une patrouille aérienne de pilotes handicapés, la patrouille Bleu Ciel. On faisait des meetings aériens justement pour montrer qu’on était des pilotes tout à fait habiles. Disons que quand vous êtes handicapé il faut tout prouver. Prouver plus que les autres. Parce qu’on vous dit handicapé donc impossible. Alors, allez changer le monde avec ça !

J’aime Dijon : Vous êtes en train de créer une école de pilotage pour les handicapés, où en êtes-vous ?

Dorine Bourneton : Nous avons trouvé l’argent pour acheter un avion de voltige, qui est magnifique et qui est en cours de modification à Dijon Darois chez Air Projet. C’est un CAP10, un petit avion de voltige en bois recouvert de toile, un biplace cote à cote. C’est le même que l’avion sur lequel je volais avant sauf que l’autre était de construction amateur. Là c’est un avion qui vole avec un certificat de navigabilité. C’est Air Projet qui est en train de concevoir et de fabriquer le fameux malonier. Le malonier c’est ces commandes manuelles de pilotage. C’est ce qui remplace les commandes qui sont habituellement aux pieds. Alors c’est long, c’est compliqué parce qu’on est maintenant soumis aussi à la réglementation européenne et se référer à l’EASA (l’agence européenne de sécurité aérienne). Ce sont des process longs, compliqués, très rigoureux. Il va falloir qu’on fasse tester le malonier par la DGA (Direction Générale de l’Armement) et faire des essais en vol. Ça sera testé par des ingénieurs, par un pilote d’essai à Istres, comme pour une certification d’un avion de chasse ou d’un avion de ligne. On passe par les mêmes process.

C’est long et extrêmement compliqué parce que c’est une première. En revanche, si il y a d’autres demandes à l’avenir, ce sera plus simple parce qu’on ouvre une voie, encore une fois on est des pionniers. Même au niveau technique on ouvre la voie pour les autres. Parce que quand je dis qu’on a ouvert la voie, on l’a ouverte en France mais aussi en Europe. Parce que l’Europe s’est alignée à l’exemple Français, si un pilote italien ou allemand veut piloter et faire de la voltige, il pourra faire fabriquer notre équipement.

J’aime Dijon : Combien de pilotes comptez-vous former ?

Dorine Bourneton : Ça c’est la grande question. Notre école, qui sera en région parisienne, va être ouverte aux handicapés mais aussi aux personnes valides. Après je ne sais pas. Nous ce que l’on veut c’est aussi susciter l’envie en allant à la rencontre des jeunes lors de meetings aériens et en allant dans les écoles pour justement leurs donner envie. Leurs faire prendre conscience de l’importance du dépassement de soi. Parce que la voltige ce n’est pas seulement un sport aérien, c’est bien plus que ça. C’est un domaine où l’on acquière des compétences. De vraies compétences qui peuvent nous servir dans la vie de tous les jours.

Des compétences qui peuvent servir, pour un jeune, dans ses études ou même pour accéder à un emploi en fait. Parce que vous imaginez bien, quand vous êtes là-haut, que vous êtes aux commandes de votre avion, de votre destin, ça ne se fait pas en un claquement de doigts. Il faut acquérir des compétences, accumuler de l’expérience, un certain bagage. C’est ça qui va faire que vous allez oser vous lancer, que vous allez oser faire des loopings dans le ciel parce que vous aurez cette expérience là. Les expériences elles servent dans la vie de tous les jours, parce qu’on est au delà de l’impossible, on est dans la vraie vie. Quand on est aux commandes de son avion, qu’on est prêt à décoller, à enfoncer la manette des gaz alors on se dit : on est face à l’inconnu, on est face à l’aléa aussi, à l’incertitude, il peut se passer n’importe quoi quand on est là-haut. Il peut y avoir une panne moteur, vous évoluez dans un espace aérien, l’intrusion d’un autre avion, il peut y avoir un feu qui se déclare dans la cabine, un court-circuit, n’importe quoi. Il faut être prêt pour ça. Il faut être prêt pour l’aléa. Donc quand vous êtes au sol et que vous dites : j’y vais malgré l’inconnu ? Ben ouais vous y allez parce que vous avez été préparé pour faire face justement à l’aléa, l’inconnu et vous êtes au-delà de ça. Ça veut dire que vous êtes au-delà, vous êtes prêt à y répondre à cet inconnu. Vous êtes prêt à y faire face.

J’aime Dijon : Vous utilisez souvent « on a ouvert une nouvelle voie », c’est typiquement une expression du monde de l’aventure.

Dorine Bourneton : Non mais c’est quoi l’aventure ?

J’aime Dijon : Pour vous c’est quoi ?

Dorine Bourneton : C’est oser se jeter dans l’aventure de l’action. Oser. Prendre des risques, innover, explorer, inventer. C’est ça l’aventure. Ce que l’on a vécu pour les pilotes handicapés c’est une véritable aventure parce qu’on a ouvert des nouvelles voies. Il a fallut inventer. Il a fallut innover. Il a fallut prendre des risques. Il a fallut oser. Se lancer. C’est aussi ça l’aventure. On a pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour vivre une aventure. On peut vivre une aventure humaine qui ait du sens pour soi mais aussi pour les autres parce que moi mon combat je ne l’ai pas mené pour moi, je l’ai mené pour les autres.

Je ne me suis pas battue contre ceux qui voulaient maintenir l’ancienne loi mais je me suis battue pour tous ceux que cette nouvelle loi aller servir. Et c’est ça la vraie aventure pour moi. Ce n’est pas partir au bout du monde juste pour se faire plaisir, ça n’a aucun sens. L’aventure elle doit être utile. Elle doit répondre, pour moi, à un besoin qui nous dépasse complètement en fait. Sinon pour moi c’est pas une vraie aventure. C’est un voyage d’agrément pour se faire plaisir.

Pour moi l’aventure doit avoir du sens. Mais la vie est une aventure pourvu que l’on ose se lancer, que l’on ose vivre la vie que l’on rêve de vivre. Pourvu que l’on ne passe pas à côté des opportunités, la vie au quotidien peut être une aventure. Il n’y a pas besoin de partir au bout du monde.

J’aime Dijon : Un message pour les jeunes qui vous liront et pour conclure ?

Dorine Bourneton : Vous pouvez vivre vos rêves, vivre la vie que vous rêvez de vivre ! Mais donnez-vous les moyens de réussir. Ne passez pas à côté, explorez, passez à l’action, lancez-vous, travaillez, engagez-vous et devenez des adultes autonomes et indépendants.

Quand je suis là-haut, j’ai l’impression d’avoir vécu une grande aventure à la fois parce que j’ai pris des risques, je me suis dépassée et j’ai vu des paysages absolument merveilleux qui changent à chaque fois. Donc chaque vol c’est une aventure, c’est un voyage, j’ai pas besoin de partir au bout du monde.

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